Désintégrations (1983)
Effectif Création le 15 février 1983,
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Notes de programme
Désintégrations a été composée après un travail approfondi sur la notion de «spectre». Tout le matériau de la pièce (aussi bien la bande que la partition d'orchestre), ses microformes, ses systèmes d'évolution, a pour origine des analyses, des décompositions ou des reconstructions artificielles de spectres harmoniques ou inharmoniques.
La plupart de ces spectres sont d'origine instrumentale. Des sons de piano
grave, de cuivres, de violoncelle ont été particulièrement
utilisés.
La bande magnétique ne cherche pas pour autant à reconstituer
des sons instrumentaux. Ceux-ci ne servent que de modèles ou de matériau
pour la construction de timbres ou d'harmonies (je fais d'ailleurs peu de différence
entre ces deux notions), et même pour la construction de formes musicales.
Plusieurs types de traitements des spectres sont employés dans la pièce :
- Fractionnement : on n'utilise qu'une région du spectre (par exemple,
sons de cloche du début et de la fin obtenus par fractionnement de sons
de piano).
- Filtrages : on exagère ou on retranche certains composants.
- Exploration spectrale (mouvements à l'intérieur du son) : on
entend les constituants les uns après les autres, le timbre devient
mélodie (par exemple, dans la troisième section, sons de clochettes
provenant de la désintégration de timbres de clarinette et de
flûte).
- Création de spectres inharmoniques, «linéaires» par
addition ou soustraction d'une fréquence (par analogie avec la modulation
en anneau ou la modulation de fréquence), «non linéaires» par
torsion d'un spectre ou description d'une courbe de fréquences (par
exemple, dans l'avant-dernière section, torsion progressive d'un son
de trombone grave).
La bande a été calculée par synthèse additive : on décrit dans toutes ses dimensions chaque composant d'un son. Cela permettait de jouer sur les spectres de manière extrêmement précise et analytique, et de rapprocher processus de synthèse et processus de composition, à tel point que la bande a véritablement été «écrite» avant d'être réalisée.
L'écriture orchestrale a aussi bénéficié de la puissance de l'ordinateur, pour la définition des hauteurs et des durées et même pour le dessin de certaines microformes. Bande et instruments procèdent donc de la même origine et sont en rapport de complémentarité. Souvent, la bande exagère le caractère des instruments, diffracte ou désintègre leur timbre, ou amplifie les effets orchestraux. Elle doit être parfaitement synchrone, d'où la nécessité de «clics» de synchronisation que le chef doit suivre.
Les deux sources, instrumentale et synthétique, sont ainsi le plus
souvent fondues et concourent à créer des instants sonores ou
des parcours musicaux inédits ; le discours musical joue souvent sur
l'ambiguïté entre ces deux sources, le but ultime étant
d'effacer toute différence entre des mondes sonores a priori distincts.
La musique procède par parcours plus que par sections séparées.
Chaque moment met l'accent sur un traitement spectral particulier, chaque parcours
fait évoluer diversement la matière musicale, entre harmonicité et
inharmonicité, ombre et lumière, simple et complexe.
Des contours précis se dégagent d'objets flous, l'ordre naît
de chaos rythmiques, les sons évoluent sans cesse, se déforment à en
changer de nature...
La synthèse a été réalisée sur l'ordinateur
4X de l'Ircam, avec l'assistance d'Andrew Gerzso, et la réalisation
finale sur bande avec celle de Didier Arditi.
Une deuxième version de la partie électronique, sur
le support «disque dur», a été réalisée
par le compositeur et par Joshua Fineberg.